DE VOUS AIEUX, en passant par moi !

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Au coeur d'un conseil de guerre (4) Déposition du Sergent-Major HIidier

infanterie de marine en 1875.jpg

Uniforme de l'infanterie marine en 1875


Nous avions laissé lors d'un précédent article Désiré  HIDIER face à se juges ! A la lecture de l'acte d'accusation , l'affaire semble entendue.

 

Le président se tourne vers l'accusé pour l'interroger ! (1)

 

"Quels sont vos nom, prénoms, date et lieu de naissance, profession domicile ? A quel titre êtes -vous lié au service ?

 

HIDIER, Désiré Simon, né le 15 Octobre 1853 à Gerland Côte d'or. profession d'opérateur de nivellement, domicilié avant mon entrée au service à Pouilly en Montagne(1) (Côte d'Or) actuellement Sergent Major au 4ème Régiment d'Infanterie de Marine de Toulon, immatriculé sous le N° D.6616 comme engagé volontaire pour cinq ans le 16 avril 1874.

 

Vous êtes le Sergent-major de 26° Compagnie ?

 

Oui

 

D'après l'ordre du régiment en date du 12 juillet, vous êtes allé toucher le prêt du 16 ainsi que le montant du décompte de votre compagnie ?

 

Oui, mon Capitaine

 

A quel chiffre s'élevait l'excédant de masse à payer à vos hommes ?

 

A environ Cent Cinquante francs(2)

 

Quelle heure était-il lorsque vous êtes sorti de chez le capitaine trésorier ?

 

Environ dix heures

 

Pourquoi ne vous êtes vous pas conformé au règlement qui vous prescrit d'aller remettre immédiatement, à votre commandant de compagnie, l'argent reçu ?

 

J'y suis allé communiquer le rapport et j'ai averti mon capitaine que j'avais touché le prêt et l'excédant de masse. Il m'a laissé l'argent entre les mains et ne m'a donné aucun ordre relatif au payement du décompte.

 

En rentrant au camp qu'avez-vous fait ?

 

Dès mon arrivée j'ai payé à la pension des sous-officiers le montant de leurs déjeuners, puis  leur ai fait le prêt. les listes n'étant pas prêtes pour le payement des hommes, je n'ai pu les solder, ce n'est qu'à quatre heures que j'ai pu finir la distribution du prêt.

 

Et l'argent du décompte ?

 

A quatre heures j'ai donné à mon caporal adjoint au fourrier  une partie de la somme du décompte afin de faire de la monnaie , en même temps je lui ai confié le clef de ma malle. J'avais à faire à la caserne, j'y suis allé et comme j'avais cours à sept heures du soir, je suis resté dîner et je suis rentré au camps qu'à dix heures et demie.

 

Vous n'avez pas demandé à votre Capitaine s'il fallait l'attendre pour payer l'excédant de masse ou s'il faillit le faire vous même ou en présence d'un officier de la compagnie ?

 

Non je n'ai rien demandé car habituellement je faisais moi même ce payement. Le Capitaine ne venait pas, je lui présentais l'émargement de chaque homme quand tout était payé.

 

Qu'avez-vous fait pendant toute la journée du 17 ?

 

Sous prétexte d'aller au cours d'hydrographie, je suis sorti du camp à six heures et demie à peu près, et me suis rendu à bord du Panama(3) où deux sergents-majors de mes camarades se trouvaient. Jusqu'à dix heures nous sommes restés ensemble, ensuite je les ai menés déjeuner avec moi au camp. A trois heures et demie je rentrais du Café pour assister à la théorie pratique mais on venait de partir. Je suis rentré dans ma tente et me suis mis à arrêter mon cahier d'ordinaire et faire mes comptes pour régler avec le Capitaine, c'est alors que j'ai ouvert ma malle et me suis aperçu immédiatement qu'il me manquait de l'argent.

 

Comment expliquez-vous cette disparition d'argent si votre malle était fermée ?

 

Ma malle n'était fermée que d'un côté. Depuis quelque temps j'avais perdu le cadenas. Je pense qu'on a du, au moyen d'une pesée faite sur la partie du couvercle non fermé, soulevé ce couvercle et par ce moyen on aurait pu introduire la main dans ma malle.

 

La veille, à votre entrée dans la caserne, avez-vous vérifié l'argent qui vous avait été remis par le Caporal adjoint au fourrier ?

 

Oui, la somme entière existait, sauf quarante francs que je lui avais dit de conserver par devant lui pour faire le prêt.

 

Dans quelle partie de votre malle le Caporal avait-il déposé votre argent ?

 

L'argent était dans un mouchoir de poche, le tout avait été déposé tout-à-fait sur mes effets. Après vérification, j'ai mis la somme, toujours enveloppée au fond de ma malle.

 

Quelle est la somme qui vous manquait ?

 

L'argent qui m'a été pris n'était pas la monnaie renfermée dans le mouchoir de poche, mais bien des pièces de cinq francs qui se trouvaient auprès. J'évalue de cinquante à soixante francs plus que moins la somme qui m'a été soustraite.

 

Qu'avez-vous fait dès que vous vous êtes aperçu de ce vol ?

 

J'ai pris l'argent nécessaire pour régler avec le Capitaine et j'ai refermé ma malle, puis je suis sorti en ville pour trouver une personne qui puisse me prêter l'argent qui me manquait en attendant qu'on m'en envoie de chez moi.

 

Vous n'avez pas trouvé cette personne ?

 

La honte m'a empêché de lui faire ma demande, j'avais bien d'autres connaissances, mais leur position de fortune ne leur permettait pas de me faire un prêt aussi important.

 

Il n'y avait pas de honte à expliquer l'accident qui vous était arrivé ?

 

Je connaissais cette personne depuis peu de temps et je n'ai pas osé lui demander ce service.

 

Quelle était cette personne ?

 

C'est un cafetier M Coste qui habite au Pont du bas

 

Alors pourquoi n'êtes vous pas allé trouver votre capitaine et ne lui avez-vous pas rendu compte du vol dont vous avez été victime ?

 

J'avais la tête perdue, je n'ai pas osé aller chez mon capitaine dans la crainte qu'il ne me traite de voleur et me fasse mettre en prison.

 

Qui pouvait vous faire penser que de prime abord votre capitaine vous aurait reçu de la façon que vous dites ?

 

Etant parti en permission, le 17 mai, j'avais emporté avec moi par mégarde une somme d'à peu près vingt deux francs provenant de la vente des eaux grasses  plus une somme égale du bon.... de l'ordinaire. A mon retour, mon capitaine m'a infligé une punition de huit jours de prison pour ce fait, j'ai craint, comme il m'avait promis de me faire casser à la moindre faute, d'aller le trouver et de lui dire ce qui m'était arrivé.

 

Ne voulant pas vous adresser à votre capitaine, quel parti avez-vous pris ?

 

A mon départ du camp, j'avais déposé dans ma malle l'argent m'appartenant personnellement, environ huit francs, n'ayant que quinze centimes sur moi je tâchais de rencontrer quelqu'un qui puisse me prêter l'argent nécessaire pour télégraphier chez moi. Jusqu'à minuit je restai à errer dans les rues de Toulon, puis sans me faire porter rentré je suis venu me coucher dans ma tente.

 

Qu'avez-vous fait le lendemain 18 juillet ?

 

Toute la matinée, j'ai assisté aux différents services. Après l'exercice du soir j'ai réuni les hommes de la compagnie et leur ai payé le décompte avec l'argent qui me restait dans ma malle, j'ai dit à ceux qui n'ont pu être servis que le lendemain ils le seraient. Au retour du fourrier de chez le capitaine, j'appris qu'il m'avait infligé une punition de huit jours de prison. En me rendant à l'adjudant du camp, j'ai été pris d'un accès de fièvre chaude et du désir de me suicider. Au pas de gymnastique, je suis parti sans suivre de direction et vers onze heures me trouvant à, la porte d'Italie, j'écrivis à mon capitaine puis je suis parti prenant le premier chemin qui s'est présenté. Au petit Thouars, je me suis endormi sous un arbre. Toute la journée du 19 et celle du 20 je suis resté errant dans la campagne ne mangeant pas te ayant toujours la fièvre. C'est le 19 au matin, en me réveillant que j'ai payé par deux fois de me pendre avec ma ceinture, la première fois elle s'est détachée et la seconde elle s'est déchirée. le 20 au soir; pensant que je me rendais coupable en restant dehors, je rentrai à huit heure un quart.

 

Vous aviez retiré les galons de dessus votre vareuse ?

 

Oui je me suis rendu directement à la prison.

 

Qu'écriviez-vous à Mr le Capitaine Courtis ?

 

Que quand il recevrait ma lettre, je n'existerais plus, que je le priais d'avancer les soixante à soixante dix francs qui étaient nécessaires pour payer l'excédant de masse et de vouloir bien informer ma famille de ma mort et qu'on lui enverrait l'argent qu'il avait avancé.

 

Vous nous avez dit que le 17 au soir en quittant le camp vous aviez pris vous l'argent nécessaire pour régler avec le capitaine, plus loin vous avez déclaré n'avoir sur vous que quinze centimes expliquez cette contradiction ?

 

J'avais pris environ huit francs que je comptais remettre au fourrier pour qu'il les donne au capitaine. N'ayant pas rencontré ce sous-officier, j'ai conservé sur moi cette somme et comme elle ne m'appartenait pas, je n'ai pas voulu en disposer pour télégraphier chez moi.

 

Vous n'avez pas eu l'idée de confier à quelqu'un le malheur qui vous était arrivé ?

 

J'avais l'intention le 18 au soir de le dire au sergent-major Grue qui habite la même tente que moi mais celui-ci était sorti je n'ai pas pu le faire.

 

Si vous aviez été toujours dans l'intention de télégraphier chez vous, vous auriez pu le faire dans toute la journée du 18 malgré votre désir de ne pas toucher à l'argent destiné au payement de l'excédant de masse vous auriez pu trouver à emprunter à un de vos camarades l'argent nécessaire pour envoyer une dépêche ?

 

J'aurais pu m'adresser à deux de mes camarades mais je savais qu'ils étaient à court d'argent, les autres je ne les connaissais pas assez pour leur demander un service

 

Ne vous est-il pas arrivé plusieurs fois d'emprunter de l'argent à des hommes de votre compagnie ?

 

Oui de faibles sommes que j'ai rendues immédiatement.

 

N'avez-vous jamais subi de condamnations ?

 

Non jamais.

 

Vos soupçons portent-ils sur quelqu'un, pouvez-vous accuser, soit des camarades, soit des hommes du camp de vous avoir pris l'argent qui vous manque ?

 

Je ne soupçonne personne, je ne sais comment la chose a eu lieu.

 

Vous vous êtes assuré qu'on pouvait fouiller dans votre malle par le moyen que vous nous avez indiqué ?

 

Parfaitement, même Mr Courtis a fait prendre dans ma malle qui était fermée, l'enregistrement de la compagnie qui s'y trouvait.

 

Commentaires du rédacteur :

 

(1) En fait ce texte  est la retranscription du Procès Verbal d'interrogatoire effectué par le rapporteur du conseil de guerre pendant l'instruction de l'affaire.

Contrairement, à ce que prétend le rapporteur dans l'acte d'accusation  (voir article 3) ; à aucun moment de l'interrogatoire, Désiré n'a reconnu être l'auteur du vol ! Sa malle ne fermant que d'un seul côté ; tout à chacun pouvait commettre le larcin.

N'oublions pas par ailleurs que Désiré avait confié une partie de la somme et  la clef de sa malle au caporal adjoint au fourrier.....

 

(2) A titre de comparaison, le salaire moyen journalier d'un ouvrier non nourri  en 1871 était de 4,99 francs (source : Statistique des salaires en France, de 1853 à 1871,Journal de la société statistique de Paris ;, tome 16 (1875), p. 36-43 ).

 

(3) Le Panama : était une frégate à vapeur à deux roues de la Marine qui a été opérationnelle entre 1849 et 1871. Désarmée elle a servi de casernement au 4ème RIMA de Toulon entre  1876 et 1886.

 

frégate le Panama.jpg

 

100_7530.JPG

 

source : SHD de Toulon

 

 

 



12/01/2014
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